Être ou faire
Le Congrès est bientôt là, je sens qu’il va occuper tout le mois de février, qui est déjà court. Cette impression que le temps est déjà pris, programmé, presque déjà passé, m’attriste et m’accable ; alors que je pourrais être libre, sans les délais, les devoirs, les obligations… que je me crée moi-même. Pourquoi ? Pour essayer de me donner une raison d’être, en général être reconnu pour ce que je fais : alors il faut bien faire quelque chose. C’est un cercle vicieux ! Au lieu d’être reconnu pour ce que je suis : et juste être ce que je suis, sans attentes, sans ce besoin compulsif de faire ; mais pour être reconnu, il faut être vu par ceux qui doivent me reconnaître : là est le problème. C’est surtout par moi-même que j’ai besoin d’être reconnu, et je suis sans doute le plus exigeant ; car les autres se moquent pas mal de ce que je fais et de ce que je suis, en dehors de leurs intérêts personnels.
La paix, c’est simplement être dans le moment présent, sans contraintes, devoirs, obligations, attentes. Pratiquer le wu wei* : laisser les choses se faire d’elles-mêmes, sans intervenir, sans les manipuler, sans préméditations. Ce n’est pas facile, car cela demande de lâcher prise de tous les désirs, intentions, attentes, et de cette image de soi qu’on veut montrer aux autres. Renoncer à sauver le monde, à le soigner, à l’embellir ; mais juste l’apprécier tel qu’il est, dans sa beauté, son harmonie, sa perfection, sans le polluer avec nos idées d’amélioration. Mais alors, on ne fait plus rien, et pourtant, il y a beaucoup de belles choses à faire. On jouit bien des bonnes actions des autres, alors ne faut-il pas aussi contribuer à leur bonheur ? La loi de l’interrelation : chacun a son petit rôle à jouer. Alors quel est le mien ? C’est toujours la même question. Faire des tableaux, des installations, enseigner, guérir, communiquer par le mail et l’internet. Aider certaines personnes, ou une personne en particulier ; mais alors, n’est-ce pas au détriment des autres ?
C’est difficile de trouver la voie du milieu : entre faire et être, entre en faire trop ou pas assez, entre aimer une personne ou tous les êtres.
* Wu wei (chinois) : littér. ne pas faire, non-action. Le wu wei est une philosophie de vie prônée par les taoïstes, qui consiste à s’abstenir de toute intention d’accomplir quoi que ce soit. Le pratiquant du wu wei se contente de suivre le flux de la vie en répondant spontanément aux besoins et aux demandes qui se présentent.
28 janvier 2000, Chiang Mai