Le but de la vie
Je lisais hier un chapitre d’un livre sur le stress du temps ; la solution, selon l’auteur, serait le wu wei*, afin de transcender le temps. C’est vrai que c’est une bonne idée, mais pour moi, le wu wei est difficile à pratiquer, car j’ai de longues listes de choses à faire. Ai-je vraiment envie de faire toutes ces choses ? Et pourquoi est-ce que je les fais ?
C’est là le point. Est-ce que j’ai du plaisir à les faire ? Qu’est-ce que cela m’apporte ? Est-ce pour me justifier, donner l’impression que je fais quelque chose d’utile de ma vie ? Pour me donner bonne conscience ? Pour rehausser mon image ? Mais qui, à part moi, se soucie de mon image, de savoir si je fais quelque chose ou ne fais rien ? C’est bien rare que quelqu’un me demande ce que je fais. Et quand ça arrive, je suis un peu gêné de répondre. Pourquoi ? Qu’est-ce que je fais sur cette terre ? Pourquoi suis-je là ? Quel est mon rôle, ma mission ? A-t-on un rôle à jouer, une mission ? Quel est mon but ? Cela n’a jamais été très clair.
En ce moment, je me suis fixé trois buts, à court, moyen et long termes, basés exclusivement (ou presque) sur la peinture. Est-ce bien juste et raisonnable ? Suis-je là seulement pour peindre ? Mais alors, pourquoi, si c’est mon seul but, est-ce que je ne passe qu’une heure ou deux par jour à peindre, et même pas tous les jours ? Peut-être dix heures par semaine. Même pas dix pour cent de mon temps de veille : ce n’est pas très intelligent ! Ainsi, je ne suis pas très clair sur ma vocation de peintre. Est-elle réelle, ou est-ce seulement un rôle que je me donne, pour essayer d’être reconnu, admiré, connu ? Est-ce que c’est ma fausse personnalité qui joue ce rôle, ou est ce que cela vient de mon essence ? Que peut-on attendre du fait d’être un peintre, même célèbre ? À quoi servent les peintres dans le monde, dans la société ? À nourrir l’esprit, ou le cœur, des gens, comme d’autres travaillent à nourrir leur corps ?
Je retrouvais l’autre jour un autre but à long terme un peu tombé dans l’oubli : créer une communauté. Et je pense maintenant à un but plus ancien : atteindre l’illumination. Où en sont ces vieux buts ? Sont-ils encore valables, vivants ? Sont-ils plus vrais, plus réalistes, plus louables ? Plus proches de mon essence ? Toutes les petites activités plus ou moins futiles auxquelles je consacre quatre-vingt-dix pour cent de mon temps, sont-elles juste là pour survivre et pour combler un vide qui m’effraie ? La peur d’être là pour rien, de perdre un temps qui semble si précieux, parce qu’il est compté, qu’il diminue comme une peau de chagrin. C’est aussi une illusion de notre condition humaine. Simplifier notre vie est une autre solution contre le stress du temps. Puis-je simplifier encore plus ma vie ? Bien sûr, je pourrais ne rien faire, juste dormir, manger, jouer au golf et faire des courses. Mais alors, il n’y aurait plus de but du tout : juste passer le temps. Est-ce ça, le wu wei ?
* Wu wei (chinois) : littér. ne pas faire, non-action. Le wu wei est une philosophie de vie prônée par les taoïstes, qui consiste à s’abstenir de toute intention d’accomplir quoi que ce soit. Le pratiquant du wu wei se contente de suivre le flux de la vie en répondant spontanément aux besoins et aux demandes qui se présentent.
6 décembre 1999, Chiang Mai